Lorsque j’ai découvert William Gibson, ce fut dans l’édition française des sa première trilogie (Neuromancien, Comte zéro et Mona Lisa s’éclate). J’étais très branché cyberpunk et il ne me serait pas venu à l’idée d’aller voir plus loin et de trouver ses ouvrages en anglais. Je ne me suis mis à lire Gibson en VO qu’à partir de sa trilogie du pont et j’ai alors découvert un tout autre univers. La prose de Gibson est absolument incroyable, j’ai même envie de parler de poésie urbaine pour décrire son écriture. L’équivalent le plus proche est la photographie urbaine des films de Michael Mann. Moins que d’actions, ses histoires sont un assemblages de textures et de sensations. Cet aspect est de plus en plus marqué dans son oeuvre. Au fil de ses romans ses histoires se font de plus en plus dépouillées. Si l’histoire reste un thriller, les rebondissements et coups d’éclats se font minimaux et n’affecte pas plus le monde qui entoure les personnages que les rides d’un caillou jeté dans l’eau.
Spook Country s’est même dépouillé de la vision futuriste qui a longtemps été la marque de fabrique de Gibson. Comme Pattern Recognition, l’histoire ne se déroule plus dans le futur, mais dans un passé proche. L’auteur s’en est expliqué par le fait que l’accélération et la transformation de notre quotidien est telle que l’ancrage en un point afin de deviner le futur est devenu impossible. Il préfère maintenant s’intéresser au présent, ce qui finalement revient au même si, comme il a l’air de le dire, notre société arrive au seuil critique de complexité qui précède l’apparition de propriétés émergentes.
Un autre aspect étrange du minimalisme de son récit est qu’il renvoie sans vraiment le dire aux échos des créations précédentes de Gibson. Plus spécifiquement, la vision de l’univers virtuel qu’il a semé dans la culture populaire et qui lui revient, plus de vingt ans plus tard et après milles déformation, sous la forme des créations artistiques géo-localisés décrites dans Spook Country (je vous laisse découvrir tout ça à la lecture du livre).
Finalement la structure du récit est en creux, et son contenu est plus à l’extérieur qu’à l’intérieur de celui-ci.
Je ne sais pas si le roman plaira aux amateurs des premiers ouvrages de l’auteur, mais pour moi il est excellent et se hisse au niveau de Pattern Recognition. Si la voix de William Gibson se fait de moins en moins forte, ses silences sont chaque fois un peu plus puissants.
(update) voici une des nombreuses interview de l’auteur, celle-ci dans Roling stone.
C’est fou ce qu’il ressemble a Eldon Tyrell croisé avec J.F. Sebastian sur le lien que tu donnes…
http://calitreview.com/2007/10/02/william-gibson-the-father-of-cyberpunk/
Belle critique ! Je ne connais pas cet auteur mais ton texte me donne bien envie de le lire, surtout la phrase “Il préfère maintenant s’intéresser au présent, ce qui finalement revient au même si, comme il a l’air de le dire, notre société arrive au seuil critique de complexité qui précède l’apparition de propriétés émergentes.” Apparemment il n’est pas encore traduit, je vais donc l’essayer en VO…
C’est vrai qu’il y a un air, d’ailleurs, c’est amusant, je crois me souvenir d’une interview où Gibson racontait qu’il s’était quasi enfuit d’une projection de Blade Runner tellement il avait l’impression que le images projetées provenaient de sa propre imagination…